Rapport d’information de MM. Rémy POINTEREAU et Philippe MOUILLER
À l’initiative du Président, Gérard Larcher, le Bureau du Sénat a confié en novembre 2014 à la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation une mission d’évaluation et de simplification des normes applicables aux collectivités territoriales. La délégation a inauguré cette mission à l’occasion de l’examen du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte, en confiant à Rémy Pointereau (UMP – Cher), Premier vice-président délégué, chargé de la simplification des normes, et Philippe Mouiller (UMP – Deux- Sèvres), l’élaboration d’un rapport d’information sur les dispositions du texte applicables aux collectivités territoriales.
Contexte:
Le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte a offert l’occasion d’une excellente entrée en matière pour les travaux de simplification normative engagés par la délégation. Un domaine, la politique énergétique et environnementale, intéressant de très près les collectivités territoriales. Depuis le XIXème siècle, les collectivités ont acquis un rôle dans la distribution et la production de l’énergie que ni la nationalisation des marchés de l’électricité et du gaz après-guerre, ni leur libéralisation dans les années 2000, n’ont remis en cause.
Dans les années 1990, les collectivités se sont en outre largement engagées en faveur du développement durable, qu’elles promeuvent aujourd’hui tant dans l’exercice de leurs compétences (aménagement, urbanisme, logement, transports, etc.) que dans le cadre de leur gestion financière et patrimoniale. Bien que l’implication des collectivités dans ces domaines soit solidement établie, sa portée n’en demeure par moins limitée par des outils de planification pléthoriques et une répartition des compétences incertaine : la complexité normative demeure donc un frein à l’action des collectivités, pourtant les premiers acteurs de la transition énergétique. Le questionnaire adressé par la délégation aux élus locaux à l’occasion du Congrès des maires de novembre 2014 a permis de bien identifier ces difficultés : parmi les plus de 4000 répondants, un quart ont désigné le droit de l’environnement et un tiers le droit des sols comme les secteurs prioritaires à simplifier. Un texte emblématique de certains aspects centraux de la complexité normative.
L’exposé des motifs du projet de loi parle d’un texte « qui opte pour la clarté, la simplicité et la stabilité des règles », une « loi d’incitation qui préfère lever les obstacles plutôt qu’alourdir des contraintes ». La lecture du texte transmis au Sénat, ou tout au moins celle des près de cinquante dispositions applicables aux collectivités territoriales, donne une impression contraire. Le texte associe en effet à des déclarations d’objectifs dont la portée juridique est floue un semis de petites dispositions modificatrices dont l’impact technique et financier est tout aussi difficile à appréhender.
Ce faisant, le projet de loi surajoute des obligations nouvelles à d’autres obligations déjà existantes, ne bouleversant rien mais compliquant tout. Largement indifférent à l’analyse coûts-avantages des normes qu’il crée, il est en outre emblématique du comportement assez schizophrénique d’un État qui impose de nouvelles contraintes coûteuses tout en appelant à la baisse de la dépense locale et en diminuant ses propres concours. En dernier lieu, le projet de loi est révélateur d’une autre cause majeure de la complexité, qui est l’uniformité centralisatrice de la norme étatique. Que signifient, par exemple, les obligations d’isolation imposées apparemment identiquement d’un bout à l’autre du territoire sans que la profonde diversité des climats soit apparemment prise en compte ?
Démarche :
Dans ces conditions la délégation a calibré sa position en fonction de plusieurs considérations. La délégation a tout d’abord identifié 6 thématiques de simplification :
– les dispositions qui tendent à imposer aux collectivités des obligations irréalistes ou encadrant leur activité de façon disproportionnée au regard de l’équilibre souhaitable entre l’objectif recherché et les moyens techniques et financiers dont dispose la collectivité territoriale ;
– les dispositions qui tendent à imposer aux collectivités des obligations supplémentaires dans une formulation insuffisamment normative ou insuffisamment précise susceptible de donner lieu à des contentieux ou à une réglementation d’application disproportionnée ;
– les dispositions qui tendent à créer ou à compléter des procédures disproportionnées au regard de l’équilibre approprié entre l’objectif recherché et les moyens techniques et financiers dont la collectivité territoriale dispose ;
– les dispositions qui tendent à créer une compétence locale obligatoire dont les conditions de mise en oeuvre ne sont pas réunies au regard des moyens techniques, juridiques ou financiers dont la collectivité dispose ;
– les dispositions qui tendent à diminuer les délais prévus initialement pour la mise en oeuvre de dispositions complexes ou coûteuses, ou introduisant des éléments hétérogènes dans des dispositifs orientés vers d’autres objectifs ;
– et les dispositions ayant pour effet de brouiller la compréhension des compétences des collectivités et l’articulation des schémas et documents de planification au moyen desquels elles organisent l’exercice de ces compétences.
Sur cette base, la délégation a proposé une démarche de simplification concrète et pragmatique.
Elle s’est abstenue de toute prise de position sur le fond, cette responsabilité appartenant aux commissions permanentes saisies au fond ou pour avis. En fonction de ce postulat et au vu du caractère largement consensuel de la plupart des objectifs du projet de loi, le choix a été fait de s’en tenir strictement à l’objectif d’éviter aux collectivités territoriales les obligations nouvelles énoncées de façon équivoque et insuffisamment normative, les obligations redondantes, les obligations peu ou pas évaluées, probablement excessives au regard des capacités administratives et financières des petites communes. Les ajustements proposés dans cette optique ont été très ciblés : sur les 16 amendements déposés par les rapporteurs, seuls 3 amendements de suppression et un amendement de réécriture complète d’article ont été déposés par les rapporteurs, dont deux ont été explicitement présentés par eux comme des amendements d’appel destinés à provoquer des éclaircissements du Gouvernement sur la portée concrète du dispositif du projet de loi.
Bilan :
Les propositions issues des travaux de la délégation ont permis, en complément des travaux des commissions saisies au fond, de modifier le texte sur certains points et d’enrichir le débat en séance publique. Dès l’examen du texte en commission, 8 propositions faites par la délégation ont été satisfaites. Ont ainsi été supprimées les dispositions créant des obligations :
– de comptabilité des plans de déplacements urbains, des plans locaux d’urbanisme en tenant lieu et des plans climat-air-énergie territoriaux avec les objectifs fixés pour chaque polluant par le plan de protection de l’atmosphère (tout en maintenant une obligation de compatibilité générale entre ces documents) ;
– de prise en compte de la performance environnementale des produits, en particulier leur caractère biosourcé, en matière de commande publique ;
– d’insertion des orientations générales des réseaux d’énergie dans le projet d’aménagement et de développement durable du plan local d’urbanisme ;
– d’insertion d’objectifs de performance en matière de réduction du gaspillage alimentaire dans le plan de prévention et de gestion des déchets non dangereux ;
– de modulation de la dotation de solidarité rurale en fonction de l’éclairage nocturne du domaine public communal ;
– et d’élaboration d’un schéma régional de biomasse.
Au cours de l’examen du texte en séance publique, 2 amendements déposés par les rapporteurs ont été adoptés. Le premier concerne les modalités de prise en compte de la stratégie bas-carbone dans les documents de planification et de programmation des collectivités territoriales. Le second renvoie aux conditions de mise en oeuvre des actions relatives aux économies d’énergie réalisées par les autorités organisatrices des réseaux de distribution d’électricité ou de gaz.
Le débat en séance publique a permis d’engager le débat sur les manifestations concrètes de la complexité normative. Chacune des 6 thématiques énumérées ci-dessus a été abondamment illustrée et commentée lors de la discussion des articles du projet de loi. Le Gouvernement s’est expliqué, les justifications ont été avancées, les alternatives ont été exposées, les parlementaires ont pris position. De la sorte, on peut dire que la complexité normative est devenue un élément explicite et incontournable du débat législatif. La première mission de la délégation est de faire en sorte qu’elle le reste.
Perspectives :
Cette première approche de la simplification normative n’a pas modifié en profondeur le texte soumis au Sénat. Telle n’était pas l’intention des rapporteurs, s’agissant d’une démarche inédite, lancée en outre à l’occasion d’un texte dont la plupart des objectifs faisaient l’objet d’une large adhésion. En perspective, l’expérience acquise stimulera la poursuite des travaux de la délégation tant sur le stock que sur le flux des normes applicables aux collectivités territoriales. Passé l’examen du projet de loi relatif à la transition énergétique, la délégation entend en effet poursuivre avec détermination ses travaux de simplification normative et répondre ainsi aux préoccupations des élus locaux qui se sont exprimées à l’occasion du Congrès des maires de novembre 2014. Les résultats au questionnaire mis à leur disposition par la délégation sont parlants à cet égard : outre le droit de l’environnement et le droit des sols évoqués précédemment, 36% des répondants ont désigné la mise en accessibilité des établissements recevant du public et 24,7 % la réglementation de l’achat public comme des secteurs prioritaires à simplifier. Ces informations ont vocation à servir de point d’appui à la mission de simplification normative de la délégation dans les mois à venir.
Rapport : http://www.senat.fr/notice-rapport/2014/r14-265-notice.html